(d'autres thèmes à suivre)
Tout en reconnaissant le 'progrès' réalisé depuis la publication de 'Pierres vivantes', notamment en ce qui concerne l'exposition de l'intégralité du contenu de la foi catholique, la lecture du Catéchisme suscite quelques remarques et appelle quelques précisions...
L'anonymat est regrettable; on aurait aimé savoir le nom de ceux qui ont collaboré à la rédaction du livre, de même les interventions critiques (donc la genèse du livre), notamment le rôle des patrologues et des historiens du dogme dans la rédaction. Le catéchisme allemand donne le nom des auteurs qui l'ont édité sur la demande et avec l'approbation des évêques. L'anonymat n'est pas nécessairement une garantie d'authenticité. Par ailleurs, il est reconnu dans la préface que tout ce qui est 'dit' dans ce catéchisme n'est pas d'égale importance. C'est regrettable de dire cela d'une manière générale et floue: il aurait fallu indiquer ce qui est vraiment essentiel dans l'exposé de la foi et ce qui n'est que commentaire ou application relative ou personnelle de la doctrine de l'Eglise.
- on aurait aimé voir publié en tête du volume le texte intégral de l'approbation romaine...
LACUNE IMPORTANTE:
La Table des matières ne consacre aucun chapitre à la Trinité. La Trinité est présentée (noyé...?) au n° 4 du ch. 3: "4 Le mystère trinitaire révélé par Jésus", p.145-150. Cette lacune dans la présentation est d'autant plus regrettable que les chrétiens deviennent chrétiens précisément par le Baptême au nom du Père..., et qu'ils commencent toujours leur prière avec un signe de la croix' Au nom du Père....
Ce mystère, fondamental au Christianisme autant que celui de l'Incarnation, fut pourtant le grand chapitre de la théologie chrétienne qui coiffait toutes les synthèses théologiques et auquel furent consacré d'ouvrages entiers et capitaux, depuis le De Trinitate de saint Augustin. La présentation 'timide' et rapide de ce mystère serait-elle motivée par des considérations oecuméniques, pour rendre le dialogue 'moins lourd' avec le Judaïsme et l'Islam?
p. 8, ligne 1: ... évêques de France, disant ensemble la foi de l'Eglise, leur foi.
- disant ensemble...: le verbe dire peut avoir n'importe quel complément: dire la vérité, dire des mensonges, dire des fictions, dire n'importe quoi...; 2° le verbe dire est trop neutre, il n'implique aucun engagement: il dit ce qu'il a vu, entendu, lu;
p. 8 ligne 2 et 3: 'leur foi' et 'notre catéchisme':
- c'est une connotation subjectiviste
p. 8: ligne 15: rejet de la méthode classique procédant par questions et réponses (Cicéron, saint Augustin etc; scolastique; voire même l'informatique actuelle: éd. Belge), pourtant, comme nous le verrons, le questionnement est incontournable dans l'exposé de la doctrine de la foi.
p. 9, ligne 10: 'croyants ou incroyants' :
- les exigences pastorales ne peuvent pas être identiques pour un croyant et pour un incroyant. Le catéchisme doit s'adresser en premier lieu au croyant, pour qu'il connaisse l'essentiel de sa foi, avec les applications à des situations nouvelles.
p. 9 ligne 12: 'aujourd'hui l'écho fidèle de la Parole de Jésus':
- nous voici revenus à l'actualisme, à ce slogan qui relativise d'emblée la doctrine. Et demain, et hier?
p. 15, 1: le 'mutationnisme':
- les changements ne sont pas propres à notre époque; il y en a eu toujours, quelques fois ressentis d'une façons plus dramatiques. P. e. à l'époque de saint Anselme, l'invasion normande, l'invasion d'Angleterre...
p. 15, 18: 'dire à ce même monde le message de l'amour de Dieu':
- toujours le même verbe 'dire': 'on dit n'importe quoi', sans référence au réel, sans référence à la vérité. La parole supporte tout, voir 'Les dimensions de la vérité...'
p. 15, 6, 12: 'des hommes et des femmes en quête de plus de vérité et de bonheur':
- relativisme de la vérité? Le message chrétien ne signifie pas simplement de donner plus de vérité, mais la Vérité et le Bonheur.
6/13: 'porteuse d'une nouvelle compréhension de l'homme' :
- le message évangélique est plus qu'une nouvelle compréhension de l'homme, il l'est aussi, mais il est la kainé ktisis, la nouvelle création. C'est pourquoi pour les grand théologiens du moyen âge, il y a la creatio et la recratio c'est-à-dire la Rédemption qui n'est pas simplement une 'nouvelle compréhension' de l'homme; par ailleurs la nouvelle compréhension, pour qu'elle soit vraie, suppose que l'homme soit effectivement changé (précisément contre la doctrine protestante). Il ne s'agit pas d'une pure gnoséologie, mais d'une nouvelle réalité qui suscite à son tour une 'nouvelle gnoséologie', une nouvelle compréhension de l'homme, puisque l'homme a changé sous l'influence de la grâce..
6/fin: 'répondre à l'attente profonde de tous ceux qui s'interrogent sur le sens du monde et sur celui de leur propre vie':
- la foi des apôtres ne concernent pas simplement la question du 'sens du monde et de la vie', c'est une foi qui concerne avant tout Dieu en lui-même: la vie intime du Dieu-Trine et sa manifestation dans l'histoire du salut; d'autre part, il ne s'agit pas simplement d'un 'sens' ou d'une 'signification', mais de la réalité même à laquelle la foi nous insère, avec laquelle la foi nous met en contact, voir même en union, à savoir le Dieu-Vérité première.
- A remarquer que, malgré sa forme non dialoguée, le catéchisme veut tout de même 'répondre à l'attente profond de tous ceux qui s'interrogent...' Le procédé par questionnement et réponse est donc incontournable...
7/3: 'témoins de l'actualité de la Bonne Nouvelle': voici de nouveau l'actualisme. La Bonne Nouvelle est toujours actuelle, pour chaque homme de chaque génération, indépendamment de sa 'médiatisation'. Pas de relativisme...
7/alinéa 3: 'en formant une Eglise de croyants et de témoins':
- est-ce nous qui formons l'Eglise, ou est-ce Dieu qui nous insère dans son église par le baptême?
Former une église de croyants et de témoins: y a-t-il aussi une église de non-croyants et de non-témoins?
p. 17: 'Dieu à l'horizon des hommes de notre temps' : relativisme historique?
10/3: Aujourd'hui: la foi était mise au défi tous les temps, non seulement 'aujourd'hui'. Toujours l''actualisme...'
10/6: 'attention aux exclus' : le slogan socialiste...
11/4: '...disent "Dieu", que disent-ils donc? La question est si vitale qu'elle ne souffre pas d'ambiguïtés.????
12/5: 'Que signifie donc croire?' - le questionnement revient inévitablement!!!
12/al.2:'il s'agit d'une attitude humaine fondamentale...' - On aurait pu montrer aussi que même toute science exacte est fondée sur des actes de foi et de confiance. En effet, il est impossible que chaque savant ou chaque chercheur recommence, pour les vérifier, chaque expérience faite par ses collègues ou prédécesseurs; il fait confiance à leur description, donc à leur témoignage...
13/2: "Qu'en est-il donc de l'acte de croire en Dieu? Pour répondre, il faut savoir de quel Dieu on parle..." - le questionnement revient inévitablement!!!
14/fin: 'Acte le plus libre et le plus personnel qui soit, mais aussi acte solidaire, qui réunit les croyants et les tourne en même temps vers Dieu et vers les hommes': ce n'est pas la définition de la foi; la foi nous met en contact direct avec Dieu, et avec Dieu seul. Le propre des trois vertus théologales est précisément qu'elle nous mettent en contact direct avec Dieu et non pas avec les hommes. C'est un acte purement et éminemment vertical et non pas horizontal.
ibid.: 'Le chrétien peut dire avec l'Apôtre: 'Je sais en qui j'ai mis ma foi.." peut = doit dire...
19/alinéa dernier: "Croire c'est reconnaître à Dieu la liberté de sortir de lui-même pour venir à nous": comment comprendre "sortir de lui-même"? Venir à nous n'exige pas une sortie de lui-même! Il y a une 'exitus (sortie)' en Dieu, non pas selon la nature divine, mais selon les personnes: 'Exivi a Patre ... et iterum redibo ad Patrem'. Credere est cum assensione cogitare, et non pas reconnaître....
20/1 Qui est donc Dieu: - le questionnement revient inévitablement!!!
20/11: "... le croyant se découvre pécheur en même temps que pardonné et accueilli.": autre chose est croire en Dieu de la justice et de l'amour et autre chose est se découvrir pécheur ou pardonné. On ne doit pas mélanger l'acte de foi en la justice de Dieu et en sa miséricorde avec le fait que je suis pécheur ou pardonné. La foi en Dieu juste et miséricordieux me fait comprendre seulement le plan de Dieu qui rend possible, pour chaque individu, le pardon. Ce n'est pas formellement parce que je crois en Dieu juste et miséricordieux que je me découvre «pardonné», mais je découvre simplement la possibilité, pour moi pécheur, de ce pardon.
20/14: "...la question de Dieu est celle de l'unique vrai Dieu. Elle se décide dans un débat, et finalement dans une lutte à mort avec les idoles." Question et décision = Heidegger. Est-ce Dieu qui se révèle comme tel à Israël, ou bien l'unique vrai Dieu est-il le résultat d'un 'débat suivi d'une décision' humaine?!
22/7: "Cette ouverture au mystère du Dieu toujours plus grand se manifeste au plus haut point à la Croix, où se révèle la gloire de Dieu, c'est-à-dire sa transcendance, qui n'est pas un transcendance de domination, mais de don." - Voici donc Przywara (Deus semper major) avec Michel Corbin qui interprète le Proslogion et le Cur Deus homo. - Dieu n'est pas simplement le 'major', mais 'ce par rapport à quoi plus grand ne peut être pensé', ce 'quelque chose' ['aliquid' (saint Augustin, saint Anselme), quiddam (saint Anselme)] de plus grand qui dépasse toute capacité de penser.
122/2: "La doctrine du péché originel nous dit quelque chose de fondamental et de toujours actuel" - actualisme...
A remarquer la tendance à la banalisation (démocratisation?) par l'utilisation des verbes 'dire', 'lire'...
«Mon Père,
Nous nous sommes rencontrés très brièvement lors de votre conférence de La Chaise-Dieu, et nous n'avons pas eu le temps de procéder à un échange de vues concernant le sujet de votre conférence, sujet cher au Père Philippe qui a donné une conférence du même titre il y a quelques années à Paris à laquelle j'ai pu assister également. Je vous félicite d'avoir eu le courage d'aborder ce sujet délicat, surtout dans notre monde où la laïcité -cette idéologie dont le but est de tronquer l'esprit de l'homme en le privant de sa dimension essentielle- tend par tous les moyens à la laïcisation et à la désacralisation de la société en essayant, souvent, de désacraliser même des oeuvres d'art considérées naguère comme des témoins de la foi vivante de générations précédentes. Un chrétien authentique ne peut que lutter contre ces tendances car il s'agit là de sauver l'homme, ses vraies dimensions et son droit à l'ouverture vers toutes les valeurs, vers toutes les dimensions du Réel, du Vrai -et du Beau.
Après votre conférence je me suis permis de vous demander la référence de saint Thomas d'Aquin, à la suite de votre phrase invitant au respect de l'athée et de l'athéisme. Je connais depuis longue date l'a. 1 de la Ia, q.2 de la Somme théologique que j'ai eu aussi l'occasion de traduire et de commenter dans mon séminaire à Paris-IV. Personnellement, je ne pense pas que l'on puisse inférer à partir de cet article et des articles parallèles un 'respect' quelconque de l'athée ou de l'athéisme qui serait la pensée du Docteur Angélique. Celui-ci y aborde la question posée par l'argument du Proslogion tel qu'il l'a compris et interprété dans la perspective de la notion logique de 'per se notum' qui, de toute façon, est absente chez saint Anselme. Chez celui-ci, il s'agit plutôt de l'application de la 1ère règle des Hebdomades de Boèce. Dans cet article, Thomas parle aussi de l'Insipiens (le contraire du Sapiens, du Sage qui est capable de 'savourer' (sapere) et de 'goûter' Dieu...), mais je ne vois aucune trace d'un respect quelconque dont Thomas aurait entouré l'"athée" et son "athéisme"... Disons aussi brièvement que les termes 'athée' ou 'athéisme' sont absents de ces articles, de même que dans l'oeuvre de Thomas. De toute façon, ce serait un anachronisme pur et simple de parler de l'"athéisme" au Moyen-âge chrétien, ainsi que l'a montré il y a déjà quelque temps F. Van Steenberghen -notre respectable historien de la philosophie du Moyen-âge- qui avait toutes les raisons de rejeter l'opinion de ceux qui essayaient de présenter le mouvement hétérodoxe du XIIIe siècle comme une sorte d'"athéisme". L'athéisme est d'une facture beaucoup trop récente pour que l'on puisse trouver chez Thomas une confrontation avec ce courant de pensée qui est l'un des aspects de ce que l'on désigne -à tort ou à raison- par la 'modernité', même si, exceptionnellement, on peut présumer l'existence d'un 'cercle d'athées' à Londres auquel fait probablement allusion la Disputatio Christiani cum Gentili de Gilbert Crespin (cca 1045-1117), abbé de Westminster.
Quant au "respect" de l'athée ou de l'athéisme, cette idée a pris corps chez un autre maître de Louvain. En effet, le chanoine A. Dondeyne (auteur de 'Foi chrétienne et pensée contemporaine'...) a beaucoup insisté pendant les années cinquante sur le "sérieux" de l'athéisme et sur le "sérieux de ses arguments" que, selon lui, il fallait "prendre au sérieux". Il visait surtout certaines manifestations de l'athéisme existentialiste -tout particulièrement celui de Sartre, Merleau-Ponty, mais aussi Camus dont le Père Philippe pense qu'il n'était point athée...- et où l'on discutait encore librement l'"athéisme" de Heidegger.... Toutefois, ce n'était pas le cas de saint Thomas. Je crois qu'il serait prudent de ne pas invoquer l'autorité du Docteur Angélique pour inviter nos contemporains au respect du "phénomène" athée.
Personnellement, plus je vieillis et plus je réfléchis moins je trouve respectables les 'arguments' de l'athéisme, surtout quand il s'agit d'idéologies entachées d'arrière-pensées 'évidentes'. Par commencer par la constatation que ce courant de pensée va diamétralement à l'encontre de l'ouverture de l'homme, à l'encontre du désir fondamental de l'homme et que, par là-même, il rétrécit l'horizon de l'homme et qu'il l'enferme sur lui-même. Ceci est le plus grand des dangers. Le 'rebondissement' continuel de l'athéisme prouve au contraire l'inquiétude profonde du "coeur" de l'homme (inquietum cor nostrum de saint Augustin) qui cherche une réponse à cette question vitale et fondamentale. Le rebondissement perpétuel de l'athéisme prouve la présence inéluctable et incontournable du problème de Dieu même dans l'esprit de ceux qui finissent par le rejeter. Personnellement, je considère que le défi qu'a lancé Anselme face à l'Insipiens est un éternel défi face à toute forme d'athéisme. Faut-il avoir du respect pour ceux qui rétrécissent sciemment l'horizon de l'homme et qui lui enlèvent le 'goût' (sapere) de la Transcendance? Par des arguments? Ou par des prétextes...? Même les implications -avouées ou non- de considérations morales montrent la faiblesse philosophique de l'argumentation de ceux qui veulent 'chasser' (laïcité...) ou 'enterrer' (Nietsche & Cie...) Dieu (entendons le 'vrai Dieu' du Credo et non pas le dieu du paganisme ou du néopaganisme...). J'ai peu d'admiration pour l'athéisme ("agnosticisme") du Kant de la Kritik der reinen Vernunft, surtout quand je l'intercale entre son Der einzig mögliche Beweisgrund et sa Kritik der praktischen Vernunft... Quant à notre 'philologue' et homme littéraire Nietsche, son "oeuvre" demeure inséparable de son état de santé ...mentale... Isaïe (XXIX:14) ne nous enseigne-t-il pas que si Yahvé veut punir quelqu'un, Il lui enlève la raison..?
Dans votre conférence, vous avez insisté sur l'importance de l'oeuvre qui fait l'artiste. Vous disiez, à juste titre, que celui qui ne peut produire aucune oeuvre aurait beau prétendre être un artiste. Ceci est tout à fait vrai. Cependant, n'y a-t-il pas moyen de distinguer entre oeuvre et oeuvre? Toute oeuvre est-elle nécessairement la preuve matérielle de la présence d'un artiste? Je distinguerais volontiers entre artisan (dans le sens du homo faber) et artiste. Tous les deux produisent des oeuvres. Qu'est-ce qui distingue alors l'artiste du simple 'artisan'? A mon avis c'est la différence spécifique qui doit apparaître dans l'oeuvre extérieure réalisée. Serait-il sage d'appeler oeuvre d'art n'importe quelle oeuvre? Conviendrait-il d'appeler oeuvre d'art n'importe quel gribouillage, même s'il vient du crayon de Picasso? Ou n'importe quel 'bruit' produit par un logiciel de musique sur l'ordinateur? Et c'est à partir du moment où l'on pose le problème de la 'qualité artistique' de l'oeuvre que le problème de l'art proprement dit doit se poser. S'il est vrai que celui qui ne produit aucune oeuvre ne peut prétendre au titre d'artiste, il est vrai également que tous ceux qui produisent des 'oeuvres' ne peuvent non plus se prévaloir de ce titre. Ce qui veut dire logiquement que ce n'est pas le fait de l'oeuvre qui définit l'artiste, mais la qualité spécifique de l'oeuvre qu'il produit. Une oeuvre d'art doit dépasser le purement fonctionnel et elle doit faire appel à la délectation de l'homme. Un menuisier, en fabriquant une chaise, peut se contenter simplement de la production d'un objet capable de recevoir un homme assis, avec un minimum de confort et de sécurité. Mais un ébéniste qui produit le même objet ayant la même fonction essentielle peut viser au-delà du purement fonctionnel pour faire appel en même temps à la sensibilité de l'homme et par là-même élever l'objet produit au niveau d'un véritable objet d'art.
Un autre point que je me permets de soulever, concerne le caractère sacré de l'art. Tout 'art' est-il sacré? La définition du sacré pose déjà des problèmes difficiles. Je ne veux pas revenir sur la conception 'classique' d'Otto. Je ressens seulement une certaine gêne quand on veut d'emblée sacraliser tout art ou toute oeuvre d'art (à supposer que l'on puisse enfin se mettre d'accord sur ce qu'est l'art et l'oeuvre d'art...) Ce n'est pas parce qu'un artiste -qui se dit ou qui se croit athée ou incroyant- pense que pour lui tout art est sacré que l'on puisse admettre sans plus cette vision. Bien au contraire, l'affirmation ou la prétention de l'artiste d'élever son produit (oeuvre) d'emblée au niveau du 'sacré' peut bien plutôt apparaître comme une sorte d'idolâtrie... J'ai déjà rencontré un artiste qui m'a dit que pour lui, 'dieu' c'est la musique... Le sacré a un sens précis et profond: le sacré, c'est ce qui dépasse l'homme, ce qui le transcende par son objet même et devant lequel l'homme est pris d'étonnement, d'admiration et de crainte... et qui inspire le respect jusqu'à l'adoration.
Dans l'usage courant du langage, le sacré est le contraire du profane. Si j'admets -à la suite de certaines déclarations d'artistes- que toute oeuvre artistique est sacrée, comment classer par exemple les cantates de J. S. Bach dont une partie est considérée comme des cantates profanes? Or ces dernières méritent sans hésitation la qualification de véritables oeuvres d'art. Ce qui distingue les cantates profanes des autres cantates c'est précisément leur sujet ou leur contenu (textes) profanes qui n'ont rien à faire avec le sacré, entendons ici le religieux. Si j'admets la prétention de certains artistes selon laquelle toute oeuvre d'art est sacrée, je ne vois pas la différence entre telle oeuvre d'art et une oeuvre d'art que l'on a d'habitude d'appeler 'sacrée'. Le 'mouvement de désacralisation' qui est l'un des aspects de la 'laïcité' peut emprunter paradoxalement deux chemins différents pour arriver au même but: soit en érigeant tout en sacré et alors on noie le profane dans le sacré; soit en désacralisant' ('profanant') tout et alors on noie le sacré dans le profane. Dans les deux cas, le résultat est identique: par une volonté de nivellement (bien 'démocratique'...), on finit par faire disparaître le 'spécifiquement' sacré et tout apparaîtra alors comme 'oeuvre de la laïcité'...
Ne serait-ce que pour des raisons purement historiques, je préfère maintenir la spécificité du sacré dans les oeuvres d'art, cette spécificité devant apparaître avant tout dans l'objet même que l'art exprime, mais aussi dans l'intention et dans l'inspiration profonde et spécifiquement sacrée de l'artiste. Pour ces deux raisons l'ars sacra se distinguera essentiellement de l'ars profana.
Quant aux témoignages d'artistes évoqués -qui, si mes souvenirs ne me trompent, furent plutôt des témoignages de ceux qui se considéraient comme des 'athées'- on pourrait aussi ajouter ceux des croyants, ne serait-ce que pour établir l'équilibre dans l'histoire de l'art. J'ai été profondément touché par l'exemple d'un Anton Bruckner qui, avant ses concours d'orgue, avait l'habitude de se plonger dans l'adoration du Saint-Sacrement et qui répondait simplement à ceux qui lui suggéraient de dédicacer son oeuvre à l'Empereur: "Je l'ai déjà dédicacée à la gloire de Dieu". Ces témoignages d'un autre bord auraient montré aussi l'absurdité et la limite de la position de ceux qui considèrent d'emblée toute oeuvre d'art comme 'sacrée'. N'oublions pas que ceux qui rejettent le vrai Dieu s'accrochent en même temps à leurs propres idoles. De même que ceux qui prétendent rejeter toute autorité ('établie') finissent par nous imposer d'autres autorités, la plupart du temps, leur propre autorité...
Pour terminer, je vous communique mes sentiments concernant les médias. Ces derniers, depuis une vingtaine d'années, s'efforcent de tout désacraliser. Il ne s'agit pas là d'un phénomène qui serait le résultat d'une génération spontanée mais d'un 'phénomène' bien organisé et bien orchestré. Je me souviens de la déclaration d'un de mes collègues sociologues que j'avais rencontré il y a quelque temps lors d'un colloque international à Paris: 'Il faut tout désacraliser', me disait-il. Je lui ai demandé d'abord si son "impératif catégorique" était motivé par la promotion de la liberté de l'homme... Ensuite, je lui ai fait remarquer qu'il n'avait pas le droit d'empêcher les hommes -qui en ont le goût- de goûter le sacré de même qu'il n'avait pas le droit d'empêcher ceux qui ont le goût et le sens de la musique de l'écouter. Ce n'est pas parce que quelqu'un manque d'oreilles musicales qu'il a le droit d'interdire aux autres d'écouter la musique. De même, ce n'est pas parce que quelqu'un est privé d'une dimension qu'il a le droit d'empêcher l'ouverture des autres vers cette dimension. C'est dire que la 'laïcité' comme 'humanisme' se condamne elle-même.
Dans l'espoir de vous rencontrer à une prochaine occasion, veuillez croire, mon Père, à mes sentiments dévoués.»