M. Robert-Henri BAUTIER a la parole pour un hommage:
'J'ai l'honneur de déposer sur le bureau de l'Académie, de la part de Raymonde Foreville, un nouveau volume de la série des 'Colloques internationaux du CNRS' intitulé: Les mutations socio-culturelles au tournant des XIe-XIIe siècles, qui contient les actes du très important colloque tenu en l'abbaye du Bec-Hellouin en juillet 1982. La réunion, qui constituait la 4e session des 'Etudes anselmiennes', et avait été grandement facilitée par notre confrère Jean Pouilloux, avait été préparée et animée de tout en bout par Raymonde Foreville, qui a en outre personnellement assuré la publication des actes.1
C'est sans doute un des plus riches colloques auxquels il m'a été donné d'assister, avec ses 50 rapports et communications, dont la publication fait largement progresser nos connaissances sur un moment capital de l'évolution de la pensée religieuse et de la culture en Occident. On peut bien dire que les 750 pages du volume nous offrent un panorama très ample, sinon complet, des problèmes de l'époque, dépassant par là largement la pensée propre de saint Anselme, même si celui-ci est demeuré au centre de la majorité des travaux. La rançon de cette richesse avait été que les organisateurs avaient dû scinder les travaux en deux salles distinctes, mais évidemment la publication permet de pallier cet inconvénient et de faire participer chacun à l'ensemble des discussions. La matière du volume est donc partagée en deux grandes sections: la première est consacrée à l'histoire, à la philologie et à la littérature monastique; la seconde à la philosophie, à la théologie et à l'épistémologie, toutes deux étant précédées d'un rapport de synthèse dû, dans le premier cas, à Edmond-René Labande, dans le second , à l'effort collectif du chanoine Jean Châtillon, de Desmond Henry et de dom Philibert Zobel, le tout étant présenté par une excellente mise au point par Raymonde Foreville elle-même sur saint Anselme et son temps.
Pratiquement la plupart de ceux qui travaillent sur ce champ de recherche ont fourni une contribution et, selon le système devenu presque général des colloques du CNRS, le texte est suivi par un résumé des discussions auxquelles ils ont donné lieu de la part des assistants.
Dans l'ordre des questions qui ressortissent davantage à mon propre secteur de recherche, je mentionnerai - après l'allocution d'ouverture par laquelle j'avais attiré l'attention sur la nécessité de revoir l'image déformée que l'on s'est faite de la réforme dite grégorienne à la suite des travaux d'Augustin Fliche et de retrouver la réalité des luttes acharnées, dans l'Eglise et dans la politique, pour le pouvoir - Lucien Musset a étudié les contacts entre l'Eglise normande et l'Eglise d'Angleterre de l'époque de Rollon aux temps de la conquête; Elisabeth Van Houts, les relations politiques entre Normandie et Angleterre; Cecily Clark, les ambivalences socio-culturelles de l'Angleterre anglo-normande d'après les leçons de la philologie; Arnold Klukas, la continuité des traditions liturgiques anglo-saxonnes telles qu'elles se manifestent dans l'architecture des cathédrales de Winchester, d'Ely et de Canterbury; Walter Fröhlich, les relations entre saint Anselme et l'épiscopat de sa province de Canterbury. Plusieurs communications, celles de Norman Golb, de Gilbert Dahan et de Claude Varoqueaux, ont porté sur les Juifs de Normandie à l'époque d'Anselme, la découverte des monuments juifs de Rouen et les idées d'Anselme sur la judaïsme, tandis que Aryeh Graboïs et James Brundage contribuaient à renouveler l'idéologie de la première croisade à partir de l'opposition, ou tout au moins de l'indifférence, manifestée par Yves de Chartres et saint Anselme à son endroit. Toute un série de travaux ont porté sur les écoles et la pédagogie en Normandie et au Bec même au temps d'Anselme. D'autres, plus nombreuses, sur l'abbaye du Bec, son domaine continental et ses possessions insulaires, la politique des confiscations royales en Angleterre, la réforme monastique en Normandie, les relations d'Anselme et de Guillaume de Volpiano avec la comtesse Mathilde de Canossa.
Mais ce serait donner une idée fausse de la richesse du volume si on ne soulignait pas qua la moitié en est consacré au domaine plus proprement religieux ou théologique: la prière privée, la prophétie, la speculatio, surtout les sources de la pensée anselmienne telle qu'elle se manifeste dans ses divers ouvrages, l'image que ce théologien se faisait de la Raison, de la Vérité, de la Justice, et aussi l'herméneutique anselmienne.
Pour faciliter les recherches et faire du volume un véritable instrument de travail pour toute une époque, l'ouvrage est complété par une série d'index, non seulement en ce qui concerne les noms des personnes cités ou d'intervenants, mais aussi des index des citations bibliques, des citations patristiques et des oeuvres médiévales, des citations des oeuvres d'Anselme lui-même.
Bref un ouvrage de très grande qualité qui, à la fois, fait le point des connaissances et ouvre la voie à de nouvelles recherches, ce qui doit être le but de tout bon colloque et qui répond parfaitement à ce qui est ou devrai être le but de tout l'effort du CNRS en cette matière.'
1 Les mutations socio-culturelles au tournant des XIe-XIIe siècles; Etudes anselmiennes (IVe session). Colloque... Abbaye Notre-Dame du Bec, Le Bec-Hellouin, 11-16 juillet 1982, sous la direction de Raymonde Foreville, Paris, CNRS, 1984, in-8°, 755 p. (Colloques internationaux du CNRS)